Chers lecteurs
Il m’est difficile d’écrire ce que l’on peut ressentir en retrouvant le lieu de son enfance lorsqu’après de si nombreuses années passées loin de ses racines on vient reprendre contact. Ma première jeunesse, riche d’anecdotes et d’aventures imaginaires…, la camaraderie d’antan, le chemin de l’école, différent aujourd’hui. L’école a changé, elle aussi, quant au chemin de la plage, il a disparu, ; ce spécialiste de nos semelles usées, tellement emprunté tous les étés mais également les belles journées d’hiver. Le froid ne nous faisait pas peur, on aimait l’affronter quand on plongeait allégrement dans cette eau glacée, avec une joie conquérante.
La plage n’y est plus, les plans d’eau ont pratiquement disparu et les pêcheurs qui entretenaient leurs barques aussi. Sachant toujours satisfaire notre curiosité, ils nous montraient dès que l’occasion s’en présentait comment préparer l’hameçon, bien garni pour attirer les poissons. Nous restions de longs moments à observer le travail minutieux qu’ils réalisaient avec fierté pour entretenir leur barque, outil primordial de leur activité.
J’ai parcouru les chemins d’autrefois, le cap Janet, la Pinède, la Calade, Saint-Louis, et par moment difficile de m’y retrouver ! Certes les voies centrales sont restées intactes dans leur géographie, mais la poésie de nos petites ruelles buissonnières s’en est allée avec elles. La mémoire me piège en m’adressant un sursaut de tristesse et de peine. Ne plus retrouver ce qui était un émerveillement poigne le cœur de nostalgie…
Alors la décision de partir en quête de tout ce qui pouvait faire revivre ces petits “villages”, tant aimés par tous ces gamins que nous étions, est devenue une évidence. Bien sûr, à l’époque nous n’avions pas ce désir d’appartenance, nous vivions tout simplement, mais l’âge, le temps, les sursauts de la mémoire et les lectures d’archives mettent soudainement en relief ce passé que l’on se met ainsi
à regarder autrement.
Le mécanicien qui nous montrait le moteur d’une voiture avec des explications à foison pour faire face à toutes nos questions. Le forgeron qui dans un souci de prudence nous maintenait éloignés de la forge luttant inlassablement contre notre indiscipline obstinée. Quant à l’épicière, très souvent elle nous tendait le bocal rempli de bonbons, nos petites mains puisaient avec gourmandise ces précieux délices ; quelquefois elle était obligée de retirer brusquement le bocal avec des mots fougueux.
Le port, lui, est resté pratiquement à l’identique mais il ne suscite plus cette part de rêve qui nous entraînait dans tous les pays du monde. Ces rêves se sont effilochés pour faire place à une réalité bien ancrée dans le présent. Terminés le charme et la beauté de l’imaginaire, remplacés par un mécanisme froid, certes, mais qui optimise le temps et facilite l’exécution des tâches. Alors les anciennes images arrivent au galop et les scènes de dockers s’animent sous nos yeux. Ces hommes travaillaient dur, inlassablement, sac sur le dos pour charger, décharger, déplacer toutes les denrées transportées par les bateaux. Les pauses étaient nécessaires et ainsi ils se retrouvaient dans une ambiance amicale, presque fraternelle, on pouvait entendre des voix rauques ou chaudes, souvent dans les graves, raconter des histoires… Ils savaient mordre à pleines dents leurs énormes sandwiches préparés par leurs épouses ou bien rire à gorge déployée. Disparue toute cette effervescence humaine, remplacée par une systématique rythmée d’une mécanique intransigeante. Les rires sont devenus des sons métalliques et secs… mais tout change n’est-ce pas ?
Nous avions aussi la culture des clans des quartiers déjà nommés et chacun avait à cœur un souci d’appartenance. On affichait une certaine fierté en affirmant : « Je suis de… » Les clans étaient aussi représentés par la couleur des tailloles : rouge et bleue. Dans le symbole, la rouge était portée par les hommes qui avaient un travail pénible car physique. La bleue, elle, concernait essentiellement les hommes qui travaillaient dans les bureaux en tant qu’administratifs. Cette catégorie allait à l’église tous les dimanches, ils se faisaient un devoir, une obligation de respect, d’assister aux offices chez les Frères des Écoles Chrétiennes, cet immense et bel ensemble de propriété, aujourd’hui transformé bien évidemment.
Chers lecteurs, c’est avec un pincement au cœur que j’ai tenté de retracer tout ce passé aujourd’hui disparu. J’ai souhaité vous faire partager mon ressenti en faisant revivre les textes, les images, les photos afin que les beaux souvenirs soient désormais à la portée de tous… dans cet ouvrage.

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